Cet article est le premier dans son genre : il s’agit de parler de l’histoire de Wasquehal pour essayer d’imaginer son futur… Le thème ici : le passé du bras mort du canal.
Thème d’actualité car depuis 2021, un projet de réhabilitation du bras mort du Canal de Roubaix anime les débats des villes de Croix et de Wasquehal. Après la réalisation d’une enquête publique en 2020 (à laquelle nous avons participé activement !), le chantier estimé à 21 millions d’euros, a commencé.
Nous avions notamment proposé de : “Mettre en place un volet éducatif indispensable à la préservation d’un lieu comme celui-ci afin que les futurs usagers améliorent leurs connaissances sur la qualité de l’eau de la branche et sur sa biodiversité.”
Retour donc sur cet espace.
A l’origine, les besoins en eau des industriels.
Au début du XIXe siècle, les fabricants du textile de la ville de Roubaix éprouvent des difficultés à satisfaire leurs énormes besoins en eau. L’eau est en effet nécessaire pour faire tourner les nouvelles machines de l’industrie textile. L’Espierre, cours d’eau qui traverse la ville, possède un débit très faible ; certaines semaines, les machines sont à l’arrêt faute d’eau.
En 1813, le maire de Roubaix Etienne Roussel Grimonprez propose la construction d’un canal pour relier Roubaix à Lille. Le canal a pour objectif d’assurer le transport des marchandises (notamment le charbon) mais aussi d’alimenter la ville en eau pour faire tourner les machines.
Le 3 octobre 1822, les membres du conseil municipal de Roubaix déclarent que la canalisation de la Marque jusque Roubaix est « une construction qui intéresse tous les habitants, notamment les nombreux fabricants et teinturiers qui manquent d’eau plusieurs mois de l’année et qui sont forcés de faire de grands frais pour s’en procurer. » – ( cf. Archives municipales de Roubaix 7-01-8 Canal de Roubaix)
Une commission parlementaire se met en place sur le sujet, le projet est défendu par le député du Nord Jean Coffyn-Spyns.
Un projet qui prend l’eau
L’ordonnance royale de Charles X en 1825 accorde une concession à perpétuité à l’entrepreneur Louis Brame pour la construction de ce canal. Les travaux débutent en 1827.
Le défi est de taille, il s’agit de construire un canal qui ne se limite pas à être une voie de navigation mais qui fournisse en quantité d’eau suffisante les industriels de la ville.
Les difficultés techniques interrompent les travaux en 1832 notamment la colline de Croix qui nécessite le percement d’un tunnel.
Notre bras mort du Canal de Roubaix est en réalité un projet inachevé par la faillite de l’entrepreneur incapable de surmonter les défis techniques du tracé du canal.
Espérons que la MEL saura relever ces défis notamment la remise en eau de la partie du bras mort enterrée sous le parking des 3 Suisses !
Voie de l’industrie
De nombreuses industries s’implantent le long du canal pour développer leur activité.
C’est le cas par exemple de l’établissement de teinturerie Hannart Frères installé dans les années 1860 qui compte jusque 2000 ouvriers en 1914.
Les conditions de production y sont si malsaines que la Revue les Annales d’hygiène publique et de médecine légale y consacre un article en 1911.
P. Bellon tente d’alerter les lecteurs sur l’emploi de divers produits d’une toxicité très élevée pour permettre d’obtenir les teintes comme l’acide sulfurique, l’acide chlorhydrique, le chlore ou l’ammoniaque.
Le travail est réalisé dans une atmosphère saturée de vapeur d’eau particulièrement toxique pour les ouvriers. L’article fait également mention de « buées » se dégageant des teintureries, comprenez émanation toxiques dans l’atmosphère dont les effets sont déjà constatés et mesurés par les scientifiques de l’époque.
Le lieu abrite aussi une énorme centrale électrique entre la courbure de la branche de Croix du canal et l’avenue G. Hannart de Wasquehal. Sa mise en service date de 1907, elle a pour objectif d’alimenter en électricité les nombreuses entreprises de la métropole.
Les besoins en électricité entraînent de nombreux développements de la centrale dans la première moitié du XIXe siècle et plongent les rues du centre-ville dans les fumées opaques liées à la présence de l’usine.
Au début du XXe siècle, on trouve également en bordure du canal l’entreprise chimique Saint Gobain dont les activités se poursuivent jusque 1969. L’usine est par la suite détruite et remplacée par un ensemble d’immeubles collectifs.
Une usine d’incinération dans les années 70
Dans les années 1970, Pierre Herman décide de construire une usine d’incinération des ordures ménagères en face de l’Église Saint Nicolas. La présence de cet établissement suscite alors de nombreux débats tant les émanations toxiques liées à la cheminée de l’usine sature l’atmosphère de la ville. Plus de 300 000 tonnes de déchets par an, amenés par les camions bennes en provenant de toute la métropole, sont brûlés dans cet incinérateur géant.
La présence avérée de dioxine dans la production de lait des fermes des communes avoisinantes conduit à la fermeture du site. Pendant plus de vingt ans, les populations de la ville ont été exposées à des quantités considérables de dioxines émises par le site. Les effets de la dioxine sont bien documentés depuis de nombreuses années, notamment pour ses effets cancérigènes.
Après sa fermeture, l’usine est en partie ensevelie par la construction d’une colline artificielle de 15m devenue un espace de détente bien connu de toutes les habitants et les habitants de la ville.
Ne pas oublier le passé – Sensibiliser
Les travaux vont bientôt commencer pour la réhabilitation du bras mort du canal de Roubaix, la MEL prévoit la disparition de tous les ouvrages non indispensables.
Les éléments de l’enquête publique de 2021 démontrent à quel point l’endroit , devenu le cadre bucolique de nos balades familiales, est toujours marqué par la présence d’éléments toxiques.
Les sols n’oublient pas les activités anciennes et nous sommes comptables de nos choix pour les générations futures. L’histoire du bras mort du Canal de Roubaix témoigne des implications de nos choix politiques et démontre la nécessité de mener une politique environnementale ambitieuse.
Nous demandons notamment à la MEL de prendre en compte un volet sensibilisation indispensable à la préservation d’un lieu comme celui-ci. Cela permettra d’améliorer les connaissances des futurs usagers sur la qualité de l’eau de la branche et sur sa biodiversité, en les liant au passé industriel du lieu mais aussi aux sources de pollution modernes.
Aussi, cela permettra de mettre en conformité le projet avec les exigences du Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) du bassin Artois-Picardie qui précise : “La sensibilisation et l’éducation à l’environnement sont des démarches indispensables. Elles permettent au public et aux aménageurs d’acquérir les connaissances nécessaires entraînant une adaptation de son comportement mais également une participation plus efficace et responsable pour préserver l’environnement. La pleine adhésion du public est primordiale pour la réussite des actions à entreprendre de manière à répondre aux objectifs environnementaux du SDAGE.”